Comment définiriez-vous le lien étroit entre les connaissances traditionnelles des femmes autochtones, le mode de vie des femmes autochtones et la conservation de la nature ?

Les femmes autochtones vivent leur relation avec la nature tous les jours, parce que ce sont elles qui cultivent la terre, font de la poterie, connaissent les médicaments et possèdent d’énormes connaissances du fait de cette relation avec la nature et les transmettent à leurs enfants, afin que ce savoir traditionnel ne soit pas perdu.

 

Dans les communautés, comment les femmes contribuent-elles à la conservation de la Terre nourricière ? Que font-elles ?

Elles apportent leur savoir, de la pratique à la transmission, elles possèdent leurs chants, leur façon de cultiver, leur façon de demander à la terre pour faire leur céramique, leurs arts. Ce système propre de connaissance n’est pas compatible avec cette autre forme d’extraction qui vient de l’extérieur, qui finit par piller les ressources du territoire.

 

En tant que femmes autochtones, quelles sont vos priorités en matière de conservation de la nature ? Quelles sont vos priorités et que souhaiteriez-vous voir en matière de conservation de la nature ?

Tout d’abord, la transmission des connaissances. Parce que le savoir autochtone conserve notre territoire, notre forêt préservée, et parce que s’il n’y avait pas de peuples autochtones, les forêts n’existeraient pas. Nous voyons que, dans les grandes villes, il n’y a plus de forêts ! Il est donc très important pour nous que ces deux façons de voir les choses coexistent. La culture et la nature ne peuvent pas être séparées.

 

À partir de 2020, des événements stratégiques auront lieu, en termes de politiques. Il y aura notamment le Congrès de l’UICN à Marseille et les discussions dans le cadre de la Conférence des Parties (COP), entre autres plateformes internationales. En tant que dirigeantes autochtones, qu’aimeriez-vous apporter à ces espaces ? Quelles exigences souhaitez-vous exprimer dans ces espaces ?

En tant que femmes autochtones, sur mon territoire, nous avons une proposition appelée « Sacha Taki : les chants de la forêt ». Nous voulons donc présenter cette proposition au niveau international, car dans notre pays, notre gouvernement ne nous écoute pas. Cette proposition est pour la conservation. Elle vise à ce que nos forêts, nos territoires, continuent à chanter, à vivre ! Parce que nous disons toujours, notre territoire est source de vie. Alors, que pouvons-nous faire ? Comment peuvent-ils nous aider au niveau international ? Par la diffusion, de sorte que cette proposition contribue au bien-être de tous les peuples, à partir de nos Plans de vie.

 

De quoi parle la proposition ?

La proposition vise à ce que nos forêts et territoires puissent continuer à chanter, c’est à dire, à ce que nous puissions continuer à entendre tous les bruits de la forêt, et que nos peuples puissent continuer à chanter pour les forêts, les rivières, les animaux, les plantes, les esprits... Nous voulons montrer que ces chants sont l’une des plus grandes expressions de la vie, et comment la vie dans nos jungles s’exprime à travers ces chants. Notre territoire est une forêt vivante, où toutes les espèces, tous les êtres vivants, humains et non humains, s’expriment à travers leurs propres formes naturelles et culturelles. Ces sons sont un patrimoine sonore que nous voulons préserver pour toujours, parce qu’ils constituent un trésor pour toute l’humanité. Dans la cosmovision des peuples autochtones, nous nous connectons avec les esprits, avec les êtres spirituels de la forêt. Nous pensons que les forêts, les rivières, les pierres, les lagunes sont vivants, sont des êtres spirituels, des êtres vivant dans les rivières. C’est pour cela qu’il y a des poissons, des animaux. Pourquoi ? Parce qu’il y a des esprits qui habitent la forêt. C’est donc cela que nous voulons que l’État reconnaisse, et à l’échelle mondiale, parce que, souvent, ces aspects spirituels ne sont pas reconnus. Pour qu’il y ait une harmonie sur notre territoire, pour qu’il y ait la vie, pour que ces êtres nous protègent, prennent soin de nous, pour qu’il y ait cette harmonie, pour que nous puissions continuer à respirer de l’air pur, dans notre forêt, avec nos plantes médicinales. Cette partie invisible que les étrangers ne connaissent pas, nous voulons la rendre visible, faire entendre ces sons, la nature qui chante, et avec elle, notre culture. C’est notre proposition « Sacha Taki : les chants de la forêt ».

 

Vous avez la possibilité d’envoyer un message à tous les peuples du monde, autochtones, non-autochtones, gouvernements, organisations, c’est à vous de jouer ! Vous, en tant que Rosa du peuple Kichwa, en tant que femme leader d’un peuple qui lutte avec sa communauté, quel message souhaitez-vous partager avec le monde, à propos de la nature, de la Terre nourricière ?

Ce que je voudrais dire au monde, c’est que nous fassions une pause. Que nous trouvions un espace pour faire une pause, réfléchir et regarder en arrière, comment la vie était, par le passé, et comment elle est aujourd’hui. Qu’est ce qui nous a conduit à cet époque de destruction de la nature, de vies humaines, de tous les êtres qui vivons dans ce monde ? Que pouvons-nous faire pour continuer à vivre, pour maintenir notre planète en vie pour les mille ans à venir ? Ce que je demande au monde, c’est que nous prenions soin de la terre, que nous cultivions une nourriture saine, que nous arrêtions d’utiliser du plastique. Prenons soin de nos rivières. Marchons ! Utilisons des vélos ! Toutes ces contributions, nous ne les faisons pas seulement pour nous-mêmes, mais pour tout le monde. Nous parlons souvent des changements climatiques, de nombreuses propositions et de nombreuses idées écrites, mais nous ne les mettons pas en pratique. Passons à la pratique ! N’attendons pas que les autres agissent, mais commençons par nos propres familles, nos fils et nos filles, notre communauté, puis nos organisations, et ainsi, petit à petit, nous pourrons changer. Nous ne pouvons pas attendre que les autres changent. Nous devons changer, nous-mêmes, nos propres modes de vie. Et aujourd’hui, peut-être avons-nous encore le temps. Beaucoup disent qu’il est trop tard, qu’en 2040 le climat nous affectera et que nous ne pourrons plus marcher dans les rues. Mais pour l’instant, nous sommes encore à temps de réfléchir et de nous reconnaître à nous-mêmes. Pourquoi sommes-nous dans cette ère de destruction ? C’est peut-être notre faute, parce que nous n’avons pas suivi un bon chemin, nous n’avons pas trouvé un espace de réflexion pour que, dans cet espace où nous vivons, il y ait la vie, il y ait une harmonie, il y ait la paix. Qu’il n’y ait pas une telle destruction entre nous, nos familles, nos voisins... qu’il y ait une harmonie entre tous et alors, le changement se produira pour nos territoires.


A propos de l'auteur


Rosa Canelos​​

 

Rosa Canelos est Directrice du programme « Femmes, famille et territoire » de la Fondation Sacha Warmi en Équateur. Elle appartient au peuple autochtone Kichwa Pakiro, et le nom de sa communauté est Pastaza. Rosa, une femme autochtone et leader, est membre de la Coordination des organisations autochtones du bassin amazonien (COICA), qui est membre de l’UICN. Sa communauté d’Amazonie équatorienne est l’une des bases territoriales de la COICA.

 

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