Quels sont, selon vous, les principaux facteurs de la déforestation au Ghana ?

Dans le cadre d’une analyse des facteurs de déforestation et de dégradation des forêts, nous avons réalisé des évaluations complètes des trois zones écologiques du Ghana : la zone de forêt de haute futaie (HFZ), la savane du nord (NZ) et la zone de transition (TZ). Traditionnellement, la TZ n’était pas une zone écologique distincte, mais en raison de la déforestation et de la dégradation des forêts, nous nous sommes rendu compte que la HFZ reculait et que la NZ s’étendait au-delà de ses limites. Cela a produit une mince ceinture, dans la partie centrale du pays, où l’écosystème a changé, créant la zone de transition. Nous avons réalisé qu’un facteur de déforestation était commun aux trois zones, à savoir l’expansion agricole. Ainsi, la plupart de nos forêts ont connu soit une déforestation ou une dégradation du fait de l’expansion agricole, mais dans chacune des zones écologiques, un produit de base particulier est à l’origine de cette déforestation.
Dans la zone de forêt de haute futaie, parmi les trois principaux produits de base (en dehors des cultures vivrières), que sont le cacao, l’huile de palme et le caoutchouc, le cacao est responsable d’une grande partie de la déforestation et de la dégradation. Initialement, il apparaît comme une culture vivrière, mais progressivement, les semis de cacao sont inter-plantés et il prend progressivement le contrôle des terres. Le cacao est aussi un arbre d’ombre, et il se porte donc très bien dans la zone de forêt de haute futaie, où il y a beaucoup de forêts.

Dans la savane du nord, les feux de forêt sont le principal moteur de la déforestation, en dehors de l’expansion agricole, et dans la zone de transition, c’est une combinaison de ces facteurs. Ensuite, si nous entrons dans ce qui se passe réellement dans nos forêts, l’exploitation forestière illégale, l’exploitation minière illégale et la collecte de bois sont tous des facteurs ayant contribué à la dégradation des forêts.

Comment les changements climatiques ont affecté le secteur du cacao au Ghana ?

Le Ghana est le deuxième producteur mondial de fèves de cacao, ce qui implique que notre économie est fortement dépendante de l’industrie du cacao. Par conséquent, bien que la production de cacao entraîne la dégradation des forêts et la déforestation, en tant que pays, nous devons continuellement innover avec des mesures transversales visant à augmenter la production de cacao et à rétablir le couvert forestier, afin d’améliorant les deux aspects dans un climat changeant.

Les changements climatiques présentent déjà leurs propres défis. Les sols s’assèchent à mesure que les régimes pluviométriques changent. La majeure partie de notre production de cacao dépend également de l’agriculture pluviale, ce qui signifie que le secteur subira des conséquences, parce que nous ne recevons pas les pluies que nous devrions recevoir.

En tant que personnes, nous contribuons également à ces changements climatiques en enlevant les forêts qui nous aident à retenir l’humidité des sols, qui ont donné au cacao sa capacité à prospérer et à être durable. À l’avenir, nous devrons donc être encore plus innovants dans la façon dont nous cultivons les cacaoyers et nous entretenons nos forêts, en plus d’atténuer et de nous adapter aux impacts des changements climatiques.

Le Programme REDD+ de la forêt de cacao du Ghana (GCFRP) cherche à réduire les émissions de carbone en promouvant une production de cacao intelligente face au climat. Comment fonctionne le programme et quelle a été la réponse jusqu’à présent ?

Le programme ne concerne que la zone de culture du cacao de la zone de forêt de haute futaie du Ghana, et il couvre une superficie en mosaïque de 5,9 millions d’hectares, dont environ 2 millions d’hectares de fermes cacaoyères appartenant à 800 000 familles de petits exploitants. Il applique des approches innovantes pour s’assurer que nous augmentons les rendements en cacao face à des conditions météorologiques défavorables, et que nous déployons un effort très conscient pour récupérer nos forêts en augmentant les arbres d’ombre sur chaque ferme de cacao, et en rétablissant les forêts dégradées avec des espèces autochtones ainsi qu’exotiques. Nous intensifions également la production de cacao en utilisant différentes approches comme des matériaux de plantation améliorés à croissance rapide, la réhabilitation d’anciennes fermes de cacao malades ou ne produisant plus autant qu’avant, et la plantation de nouveaux cacaoyers en consultation avec les agriculteurs et les communautés propriétaires de ces cultures. Nous mettons également en place des mesures d’irrigation, si nécessaire, et réalisons une pollinisation artificielle afin d’obtenir beaucoup plus de fèves de cacao. Il s’agit là de quelques-unes des approches innovantes regroupées dans ce programme REDD+ de la forêt de cacao, pour lutter contre les changements climatiques et s’y adapter.

Il s’agit d’un programme bien pensé, avec les producteurs de cacao, les membres de la communauté, les autorités traditionnelles, les organisations de la société civile, les ONG et les institutions gouvernementales, et qui prend en charge tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement en cacao, parallèlement à la restauration des forêts, car nous voulons augmenter la production de cacao sans compromettre la santé de nos forêts.

Outre la lutte contre les changements climatiques, comment le programme contribue-t-il à améliorer les moyens de subsistance locaux ?

Nous mettons en place des garanties afin de nous assurer qu’aucun membre de la communauté ou producteur de cacao ne perdra ses moyens de subsistance. Dans le programme, nous avons introduit des modèle de moyens de subsistance supplémentaires ou alternatifs, qui offrent d’autres sources de revenus aux agriculteurs et aux membres de la communauté lorsque la saison du cacao n’est pas à son apogée, ce qui élimine la pression sur les forêts.

L’un des points forts du programme est d’assurer et de renforcer la gouvernance des ressources naturelles, parce que les communautés se réunissent pour discuter de leurs besoins avec le gouvernement. Dans cet engagement particulier, les membres de la communauté eux-mêmes ont compris que les changements climatiques se produisaient et que l’enlèvement d’arbres dans les fermes ou les forêts ne les aidait pas, et n’aidait pas leurs économies. Quand ils arrivent à la table de discussion, ils sont prêts à s’engager et ils se rendent compte qu’il s’agit d’un processus inclusif. C’est un processus participatif et leurs points de vue sont reconnus, et cela leur permet également de s’engager pour le succès du programme.

En ce qui concerne les Objectifs de développement durable (ODD), en quoi pensez-vous que les réductions d’émissions par le biais du programme contribuent aux ODD dans leur ensemble, et aident, plus spécifiquement, le Ghana ?

C’est une question qui m’intéresse beaucoup car la plupart du temps, lorsque nous parlons du programme, les gens parlent rapidement de l’ODD 13 (Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique) et de l’ODD 15 (Vie sur terre), mais le programme va bien au-delà.

Si vous prenez l’ODD 1 (Pas de pauvreté), par exemple, cela commence par l’amélioration des moyens de subsistance des communautés locales. Si vous prenez l’ODD 2 (Faim « zéro »), le programme intègre le développement de plantations forestières et de cultures vivrières, et non pas seulement des plantations de cacao ou des plantations forestières à grande échelle. Pour la santé et une éducation de qualité (ODD 3 et 4), le programme est conçu pour fournir des avantages communautaires. Si une communauté a bien travaillé et obtenu un paiement pour ses résultats de réduction des émissions, la communauté peut décider si elle a besoin d’une école ou d’un hôpital, et utiliser l’argent ou les fonds reçus à cette fin. En outre, notre programme REDD+ a été sensible aux questions d’égalité hommes-femmes dès le début, et une partie de ce travail a même été lancée par l’UICN, intégrant l’ODD 5 (Égalité entre les sexes). Nous veillons à ce que nous ayons un programme inclusif et que les hommes et les femmes y participent. Pour l’ODD 6 (Eau propre et assainissement), quand vous parlez de restauration des forêts, cela inclut également la restauration des bassins versants. J’ai déjà parlé des ODD 1 à 6, et je pourrais continuer encore et encore.

Le programme que nous exécutons aborde presque tous les ODD, directement ou indirectement, et si nous faisons bien notre travail, nous serons en mesure de couvrir l’ensemble du pays, parce que nous avons d’autres programmes REDD+ pour chaque partie du pays. À terme, nous atteindrions les ODD en collaboration avec d’autres secteurs avec lesquels nous nous engageons, car les facteurs de la déforestation vont au-delà du secteur forestier.

En 2020, d’importantes réunions environnementales auront lieu, dont le Congrès mondial de la nature de l’UICN. S’il y’avait une question que vous souhaiteriez voir abordée, quelle serait-elle ?

Je crois que beaucoup de choses sont faites, dans le monde, pour s’assurer que nous atteignions les ODD ou la résilience climatique, ou que nous fassions face à la hausse des températures, mais tout cela se fait au coup par coup. Beaucoup de choses ont fonctionné dans le passé et il n’y a nul besoin de réinventer la roue. Ce dont nous avons vraiment besoin maintenant, c’est d’obtenir un impact à grande échelle, et quand vous voulez un impact à grande échelle, la cohérence et la continuité sont essentielles. Il devrait également y avoir beaucoup plus de coordination entre les communautés de donateurs et les pays, et plus de coordination des politiques intersectorielles.

Y a-t-il autre chose que vous voudriez ajouter ?

Je veux simplement souligner le fait que des organisations comme l’UICN aient contribué à ce processus que nous avons au Ghana. L’UICN a été très utile à notre travail et nous a aidé à établir plus de plateformes pour l’engagement et la gouvernance forestière. Nous apprécions chaque personne/partie prenante ayant contribué au succès du programme, parce que nous n’aurions pas pu le faire seuls, et si nous maintenons ce niveau d’engagement, je crois que nous pouvons arriver très loin et atteindre ce que nous devons atteindre. 1,5 degrés Celsius est possible avec une action concertée au niveau des paysages, faisons-le !


A propos de l'auteur

 

Roselyn Fosuah Adjei est cadre intermédiaire à la Commission des forêts du Ghana et Directrice pour le changement climatique, ainsi que Coordonnatrice nationale REDD+. Elle gère un portefeuille diversifié de programmes paysagers abordant la question de la déforestation et de la dégradation des forêts provoquées par l’agriculture, afin d’augmenter la production agricole, en particulier pour les produits de base d’importance nationale, tels que le cacao et le karité, tout en rétablissant agressivement le couvert forestier.

Les chaînes de valeur de ces produits de base impliquant un grand nombre d’acteurs locaux et internationaux, allant des agriculteurs au secteur privé et au gouvernement, Roselyn joue un rôle clé dans l’harmonisation des programmes, des politiques et des actions pour construire des communautés résilientes pour les personnes dépendantes des forêts, y compris les femmes, et des paysages résilients aux changements climatiques. Elle possède un portefeuille diversifié de conférences et d’engagements de travail sur diverses plateformes nationales et internationales.

 

Hôtes